Interview de Von B. (Ludwig)
Le muscle de la création
– Ton premier concert en tant que chanteur s'est bien passé ? [le 04/10/2024 (N.d.R.)]
– C'était super. Pour un premier concert on ne pouvait pas rêver mieux parce que déjà c'était en 1re partie d'un artiste que j'aime bien, Arman Méliès, avec qui on a un passif, comme tu le sais, il avait chanté avec Radiosofa [duo sur "Voyageurs immobiles" (N.d.R.)]. Je suis ses albums depuis 20 ans. Et le concert était au Trianon Transatlantique qui est une salle de Rouen que j'aime beaucoup aussi, avec un bon système son.
Jouer à domicile des fois c'est à double tranchant. Tous tes proches viennent te voir, ça peut mettre la pression. Mais dès la fin du 1er morceau j'ai senti de la bienveillance et un super accueil qui m'a donné de la force plutôt que de l'angoisse.
Quand j'ai écrit l'album, je n'ai pas pensé aux concerts. Je l'ai envoyé à Paul Moulènes, le directeur du Trianon Transatlantique, pour avoir son avis, et il m'a proposé de jouer avec Arman Méliès, je ne m'y attendais pas du tout. C'était un challenge, je ne me suis jamais considéré comme chanteur auparavant. J'ai appelé Thierry [Minot], qui joue avec moi dans Foray, et qui avait fait les mix, pour restituer le son de l'album sur scène.
J'aurais pu choisir aussi guitare-voix et juste un piano. Je vais peut-être faire une formule pour jouer chez l'habitant comme ça, enlever des bandes, épurer. Je pense travailler avec une pianiste qui puisse aussi chanter, parce qu'il y a beaucoup de voix féminines sur l'album. Et je trouve ça chouette d'essayer d'aller vers la parité. J'avais hésité entre violoncelle et piano, mais ce sera sans doute piano.
– Bassiste chez Radiosofa, chez Claire Denamur et chez le regretté Amara, multi-instrumentiste chez l'excellent Foray, tu en as d'autres que j'oublie, à ton palmarès ?
– Avec Amara on a fait un projet parallèle, La Demoiselle de Wellington, qui racontait l'histoire des soldats pendant la Première Guerre mondiale qui s'étaient cachés dans une caverne à Arras. C'était une pièce musicale racontée et j'étais pianiste.
Sinon j'ai fait des sessions de studio à la basse avec Da Silva.
J'ai accompagné un tout petit peu Elsa, plus dans la variété française…
– La fameuse Elsa ? Elsa Lunghini ?
– Oui. Elle a le même âge que moi. Quand elle a ressorti des trucs, j'ai fait un peu de promo radio avec elle et avec Mathieu, le batteur de Radiosofa.
Sinon j'ai fait des arrangements, productions, réalisations d'albums pour le groupe Grapes, sur Le Havre. J'ai écrit aussi pour orchestre, quatuor à cordes, et des pièces pour piano solo, plus dans la veine musique classique mais j'aime bien ça aussi.
– Tu as dit Da Silva, on en parle, avec ce qu'il lui est arrivé ?
– Tu veux dire les problèmes qu'il a eus sur… les femmes ? J'ai entendu parler de rumeurs…
– Y avait un papier à charge et une enquête dans Libé.
– Carrément ? Alors moi je l'ai rencontré à ses débuts, fait des maquettes… C'est lui qui m'a présenté Olive et Moi, un artiste super, qui était chez Tôt ou tard. Et c'est lui qui m'a fait rencontrer Claire Denamur. C'est quelqu'un avec qui j'ai gravité mais jamais vraiment joué. Après, concernant ses problèmes, j'essaie de respecter un maximum tout ce qui est justice. Qu'elle soit faite.
– Toi tu n'as eu aucun problème avec lui ?
– Non. Je ne l'ai pas assez côtoyé pour témoigner. Je l'aurais fait si j'avais vu des choses comme ça, bien sûr. En tout cas c'est quelqu'un de spécial.
– Tu as détaillé toutes tes expériences. Qu'est-ce que chacune t'a apporté ?
– J'aime beaucoup la basse, mon instrument principal, important harmoniquement et rythmiquement. T'es un peu le copain du batteur, mais t'es le copain de l'harmonie, c'est toi qui donnes la base du château harmonique.
Après, je suis un éternel curieux, donc le fait que j'aie joué aussi d'autres instruments m'a apporté un savoir-faire dans l'arrangement de titres et dans la production musicale.
– Qu'est-ce qui t'a décidé à empoigner le micro ?
– Pour Radiosofa c'est moi qui faisais les compositions, donc je balançais quand même des petites lignes de chant, des idées mélodiques. Bien sûr en groupe c'est juste une pierre à l'édifice et après tu retravailles. Mais à force de faire des chansons je me suis dit : « Pourquoi tu le ferais pas ? »
La 2e chose c'est que certaines chansons que j'avais faites pour Radiosofa, finalement, se dirigeaient plus vers la chanson que le rock. Donc je les ai gardées pour moi.
Avec Foray aussi, Xavier a dit : « Si vous avez des idées, ça peut venir de vous aussi ». J'ai envoyé "La pluie avant qu'elle tombe". Mais Foray c'est quand même lui, c'est son projet, c'est ses chansons. Et, sans que ce soit un refus, Xavier et Thierry m'ont dit : « Pourquoi tu continuerais pas à la faire pour toi ? Elle est bien comme ça. Fais ton album, mec ! » Ça m'a vachement encouragé.
À partir de ce moment-là, j'ai ressorti des vieilles maquettes et pris celles que je préférais. Et j'ai voulu en faire des nouvelles aussi pour regonfler le muscle de la composition, ne pas faire que du réchauffé.
C'est pour ça que cet album est assez éclectique, à tiroirs, on voit qu'il y a plusieurs périodes. Le prochain sera plus centré sur une ligne directrice.
– Tu penses déjà au prochain ?
– Oui. Je pense qu'il faut avoir un petit coup d'avance. Si tu mets tout dans la promo et dans les concerts et si tu lâches l'autre moteur, c.à.d. la création, après tu peux avoir une espèce de vide, et le muscle de la création se refroidit.
– Pourquoi ce pseudo Von B. ?
– Mon nom de famille, Brosch, commence par B et je m'appelle Ludwig. Donc c'est marrant de m'appeler Von B., comme Beethoven, c'était un petit hommage humoristique. D'ailleurs, je devrais dire 'fon B' parce qu'en allemand les v se prononcent f.
Y a d'autres "Von B"… des rappeurs américains… Ça me posera peut-être problème un jour.
En tout cas, on ne m'appellera quand même pas Von B. Pas comme Arman Méliès qui se présente comme Arman maintenant, il a pris son alias de super-héros.
– Pourquoi n'as-tu pas rejoint Animal Triste ?
– Déjà, parce qu'on ne m'a pas demandé. À mon avis, les gars de Radiosofa ne voulaient pas un "Radiosofa bis". Ils voulaient s'exprimer sans moi qui étais le moteur propositionnel du groupe. Si j'avais rejoint Animal Triste on aurait fait un peu "Radiosofa sans Thomas", avec un autre chanteur.
Je trouve ça super ce qu'ils font. Après, j'ai pris aussi beaucoup de plaisir à me mettre à la chanson française, je ne ferais peut-être plus du rock à l'américaine comme j'aimais bien il y a 10 ans.
– Amara, c'était un peu Radiosofa avec un autre chanteur…
– Oui, sauf que c'étaient les compos d'Akim. On l'a fait "backing band" et lui a aimé ce mélange : la chanson française et les influences rock américaines (the Black Angels, the Doors…)
– Et City of Exiles ? Guillaume ne t'a pas demandé ?
– Non, ça ne s'est pas fait, mais ça pourrait. Matthieu, guitariste de Radiosofa, a pris la main là-dessus.
– Tu pourrais t'y retrouver sur un morceau ou 2 en 'guest'…
– Oui. Comme Pauline [Denize], qui devait aussi jouer sur mon album, parce que c'est une copine, mais ça ne s'est pas fait parce qu'elle tournait beaucoup…
– Oui, avec Pomme !
– Oui. Comme c'est quelqu'un de talentueux, elle s'est fait repérer. D'ailleurs avec son projet Denize elle a sorti un truc, mais quand tu fais plusieurs choses ça ralentit un peu. Arman Méliès a réussi à accompagner Julien Doré sur scène, et en même temps à continuer à faire ses albums. Moi je suis quelqu'un d'assez lent. Si je tournais complètement avec quelqu'un d'autre, mon prochain album je le ferais dans 6 ans.
– Tu as composé des génériques, des musiques de films, des musiques instrumentales pour toutes sortes d'images et de spectacles. Sur l'album de Von B. tous les morceaux ont des paroles, avec quelques bonnes formules, comme "J'aimais la pluie avant qu'elle ne tombe". Revenir à des paroles c'était un besoin pour toi ?
– Oui. Ça me titille aussi de faire un truc post-rock avec très peu de texte, mais là j'avais envie de faire des chansons. Qui dit chanson dit paroles.
"La pluie avant qu'elle tombe", j'avais vu les 2 Tours, le 11-Septembre, j'étais passé derrière un magasin qui vendait des télés, j'ai vu les hommes tomber sans le son et ça me faisait penser à des gouttes de pluie. C'était assez dramatique sans le son, comme dans certains films d'horreur quand tu enlèves le son c'est pire. Et "la pluie avant qu'elle tombe" c'était un petit clin d'œil à un livre que j'aime beaucoup, de même titre, de Jonathan Coe.
Après, il y a une chanson qui était instru, c'est "Zombie walk". L'année du Covid, pour un festival à Rouen qui s'appelait le 55, j'ai créé un projet de musique instrumentale avec une saveur de musique de film d'horreur, parce que j'ai un Master là-dessus, et de la danse. Le dernier morceau c'était "Zombie walk" : pas de texte, une idée d'un morceau un peu post-rock qui monte de plus en plus, et les danseurs se rapprochaient de plus en plus du public jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent à un mètre d'eux.
Quand j'ai fait l'album j'ai voulu reprendre ce morceau en y mettant des voix parlées. J'avais l'idée de récolter des messages #MeToo universels, j'ai demandé à Einat [Klinger], et elle m'a rendu un truc qui était exactement l'inverse : une scène particulière, et de là se dégage l'universel, parce qu'une scène comme ça des milliers de gens l'ont vécue. Je suis très content qu'elle ait fait ça.
– C'est ça la richesse de bosser avec d'autres. C'est pas forcément ce que tu attends, mais ça peut être très bien, parfois mieux.
– Bah oui, carrément.
– De combien d'instruments joues-tu ? On fait l'inventaire ?
– Batterie, basse, guitare, piano. J'ai joué du sitar sur le 1er album de Radiosofa, et dans un album d'un Rouennais qui s'appelait Mr Lab !, mais je n'en fais plus.
– Pas d'autres instruments moins connus, exotiques ?
– J'ai fait du gamelan. C'est comme un orchestre classique, mais indonésien. Tu as plusieurs postes de gongs différents, qui font des notes. Ça m'a ouvert sur des styles et des modes de jeu complètement différents de la musique occidentale. Le gamelan a un côté hypnotique, très proche de la musique répétitive. J'aime beaucoup Steve Reich et des gens comme ça, Philip Glass, Terry Riley… qui se sont inspirés de la musique répétitive, et puis le rock c'est vraiment de la musique répétitive.
– Tu as d'autres métiers je crois ?
– Je m'occupe du festival Chants d'Elles, où des artistes féminines se produisent pendant 3 semaines. C'est aussi pour ça que j'ai pensé à cette chanson "Zombie walk".
Je fais aussi des "concerts pédagogiques" pour ouvrir les collégiens et lycéens sur les dangers du volume sonore.
Sinon, je fais de la musique à l'image. C'est une branche à part. Et de la musique pour les arts vivants (danse, théâtre).
– Je te propose de regarder la liste des albums chroniqués sur japprecie et d'en pointer 5 que tu apprécies particulièrement.
• City of Exiles : corporate, je me compare un peu à Guillaume, parce que c'est quelqu'un qui a eu le courage de s'y mettre.
• Liz Van Deuq : tu me l'as fait découvrir et c'était une belle découverte.
• Exsonvaldes : nos chemins se sont croisés plusieurs fois, des gars chouettes qui font de la musique chouette.
• Zaho de Sagazan : il faut se détacher du fait que maintenant on ne parle plus que d'elle, mais quand même, c'est pas une raison.
• Animal Triste : un rock à l'américaine qui n'est pas un erstaz.
• Other Lives
1 | Jour ou nuit ? | Nuit |
2 | Radiosofa ou Radiohead ? | Joker ! |
3 | Royaume-Uni ou États-Unis ? | États-Unis |
4 | Acoustique ou électrique ? | Électrique quand même |
5 | Medhy a raison ou médiator ? | Medhy a raison, contre ton jeu de mots foireux |
6 | Scène ou studio ? | J'étais studio, je vais vers la scène |
7 | Son ou lumière ? | Son |
8 | Fromage ou dessert ? | Fromage (comme on dit en Normandie je suis une gueule à sel) |
9 | Gauche ou droite ? | Gauche (parce que je suis gaucher) |
10 | U2 ou Coldplay ? | U2, sans être un grand fan |
11 | Nick Cave ou Neil Young ? | Nick Cave |
12 | Et donc, Stones ou Beatles ? | Beatles (Mathieu va m'en vouloir). |
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– Comment gères-tu le temps, la durée, dans tes chansons ?
– J'aime bien les chansons courtes. L'album Revolver des Beatles est pour moi un exemple de tout un monde qui tient dans 2 minutes 30. Et en même temps j'adore le post-rock, le temps long, comme dans les musiques indonésiennes ou indiennes, ou tout ce qui est hypnotique. Là, tout doit se répéter, le moindre petit changement va ouvrir quelque chose d'énorme.
Dans le format chanson, à partir du moment où il y a des couplets et des refrains, il ne faut pas être trop long, qu'on se dise à la fin « Putain c'est déjà fini » et qu'on ait envie de le remettre.
– Donc on ne rajoute pas… un pont inutile… ?
– Oui, j'ai tendance à virer des accords, des machins, et à me retrouver vite avec 2 accords sur une chanson. J'aime beaucoup élaguer, pas au niveau des arrangements, mais au niveau du processus compositionnel. Des chansons qui filent droit. À l'américaine.
– Et dans tes concerts, le temps ? Tu vas suivre la même ligne ?
– (il réfléchit) Pour l'instant je me suis calqué sur le format album, j'ai pris le même timing. J'aime la sensation que ça passe vite, ne pas parler trop entre les chansons pour ne pas enlever l'univers dans lequel est baigné le public.
Il faut du yin et du yang. Je fais des chansons courtes, mais c'est pas mal à certains moments de prendre du temps.
Par exemple "Évanoui" est presque un poème mis en musique, avec une sensation de temps long. Pourtant, elle ne dure que 3 minutes 30, mais elle est très calme. Finalement, court ou long ce n'est pas qu'une question de minutes mais aussi de ressenti. -
• Stravinsky (pour lui c'est l'inventeur du rock n' roll)
• le cinéma, sous toutes ses formes
• John Irving (écrivain américain) -
rien
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La phrase
« Ça me titille aussi de faire un truc post-rock avec très peu de texte. »
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…Et maintenant, écoutez !
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Créé le22 novembre 2024
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Propos recueillis le 11 octobre 2024.
Merci à Ludwig.
Photo de concert : Poley Luard.