Interview d'Animal Triste
Créatures de la nuit
– Pour commencer, vous pouvez raconter la genèse d'Animal Triste ?
Mathieu P. (batteur) – Ça s'est fait en 2 pas. Le 1er, c'était Yannick, Fabien et moi-même. Au sortir d'un concert au Kalif, on buvait des coups et on se disait qu'on n'arrivait pas à entendre la musique qu'on aimait. Alors, plutôt que d'être aigris, on s'est dit « on n'a qu'à la faire », histoire de ne pas se dire que c'était mieux avant. Au bout d'un moment, l'être ci-présent sur ma droite [Cédric] me dit « elles sont quand même vachement bien vos chansons, faut pas rester comme ça à ne pas les jouer en répète ». Et il s'est mis à la basse spécialement pour le projet, puisqu'il était guitariste-batteur, mais pas bassiste. Puis nos amis nous ont gentiment rejoints parce qu'on avait besoin d'eux.
Cédric K. (bassiste) – Je pense que c'est bien résumé.
– Être à 6 ne vous pose pas de problème pour faire des concerts ?
Mathieu – Non, c'est plus au niveau de l'hygiène que c'est embêtant. (rires)
– J'imagine que certains programmateurs vous ont fait des propositions en formation réduite pour baisser le coût ? Vous refusez catégoriquement ?
Mathieu – Bien sûr. On part à 6, on reste à 6. Le but de la liberté de ce projet, c'est que personne ne nous dise ce qu'on doit faire, ni artistiquement, ni dans la formation. Et puis si demain on veut un sax eh bien on met un sax et on sera 7. Un truc à la Morphine, c'était quand même pas mal ça.
– Alors, six musiciens... et pas une seule musicienne ?
Cédric – Non, parce qu'on est misogynes. (rires)
Mathieu – Ça ne s'est pas trouvé comme ça. Aux lumières on a Mathilde, dès qu'on peut l'avoir, une jeune femme extrêmement douée.
– Il y a un petit côté 'résistant' quand on fait du rock en 2022, non ?
Cédric – Ça c'est sûr. C'est un peu l'idée du projet.
Yannick M. (chanteur) – On ne risque pas notre vie non plus, mais en attendant c'est...
Mathieu – Militant, plus que résistant.
Yannick – Un peu à contresens.
– Quel est selon vous l'âge d'or du rock ?
Mathieu – C'est demain. On dit qu'il est mort depuis toujours.
Cédric – Il n'arrête pas de ressusciter.
Mathieu – On a dit qu'il était mort dans les seventies avec le disco, et puis le punk est arrivé. On a dit qu'il était mort dans les eighties avec la new wave, et puis le grunge est arrivé. Là, le nouveau mouvement tarde à venir mais il y en aura un.
– Et quel est le pays du rock ?
Mathieu – Ça divise. C'est une vraie bonne question. Pour moi, les Américains. Plus précisément la Californie, la côte ouest.
Cédric – Les références communes sont plutôt basées dans ce coin-là.
Yannick – Y a aussi des anglophiles dans le groupe.
Mathieu – Et puis l'Australie.
Yannick – Nick Cave.
– 'LE' groupe de rock français ?
Mathieu – C'est une gageure de dire ça, mais Noir Désir.
Cédric – Pour ce qu'ils ont fait, oui.
Mathieu – Même si je ne peux plus les écouter, mais... C'est sûr que c'est pas Téléphone, y a pas photo.
Yannick – En ce moment peut-être Gojira.
– Un peu plus metal que rock.
Mathieu – Oui, mais c'est de la guitare et de la disto. De toute façon, le metal c'est du rock.
– Vaste débat.
Yannick – Tu vois Frustration, Hangman's Chair, JC Satan... Ce sont des manières de défendre l'image qu'on a du rock. Ou les jeunes générations comme Mnnqns à Rouen ou You Said Strange en Normandie, même si c'est dans les marges. Mais c'est une musique qui est faite pour les marges de toute façon. Quand ça devient mainstream ça devient Coldplay, après c'est chiant.
– Night of the loving dead arrive très vite derrière le 1er album (à peine plus d'un an). En est-il la continuité ?
Mathieu – Oui je crois. Sur le 1er, on avait jeté des cailloux en l'air, et maintenant on sait viser. On a repris la même équipe, la même formule, mais on a beaucoup plus travaillé l'écriture.
Yannick – On a retrouvé la boîte du puzzle, avec le modèle.
– Et c'est quoi, le modèle ?
Yannick – Chaque chose est plus réfléchie, les traits sont affinés. Le 1er était une esquisse, là on a quelque chose de plus instinctif.
– Qu'a-t-il de différent ?
Yannick – La composition, la façon de le fabriquer.
Cédric – Et puis un vécu commun.
– Vous envisagez de sortir les albums suivants au même rythme ?
Yannick – On va essayer d'enchaîner vite. Ça ne dépend pas que de nous, mais oui.
Mathieu – Si tu te fais plaisir, y a aucune raison d'attendre.
Yannick – Et puis souvent les créations artistiques sont plus intéressantes en période de chaos dans le monde, et en ce moment on est servi.
– Yannick, c'est toi qui signes les textes, tu y apportes un soin particulier ?
Yannick – Oui. J'ai fait des études d'anglais parce que j'aimais la musique et le rock anglais. J'ai appris l'anglais en chantant par-dessus les Pixies. Là ce qui était cool c'était de faire les textes en même temps que tout se construisait, sur une période très ramassée. Y a beaucoup d'obsessions communes qui ressortent d'un texte à l'autre.
– Oui, j'ai remarqué des passerelles d'un texte à un autre.
Yannick – Je suis content que tu l'aies remarqué.
Mathieu – Nous, on a remarqué après. Parce qu'il est cachottier...
– (moqueur) Vous ne l'écoutez pas en fait !
Mathieu – Si si.
– Sur ce 2e album j'ai remarqué une tendance religieuse. Vous êtes croyants ?
Cédric – Non, mais la thématique du vaudou nous a traversés sur cet enregistrement.
Mathieu – On est devenu des créatures du monde de l'au-delà, des zombies. Y avait quelque chose de l'ordre du sulfureux, du sataniste... Et le rock a toujours joué avec ces codes-là.
– Le blues, à la base.
Mathieu – Oui, le crossroad et tout ça. Et c'est passionnant. Et on s'est mis à parler de vaudouisme, à incorporer un peu de musique vaudou chez nous.
Yannick – Ce sont des créatures de la nuit : les loups-garous, les vampires, le Baron Samedi. La lune, ça éclaire la nuit, alors que le soleil éclaire quand il fait déjà jour, donc la lune c'est mieux.
Mathieu – J'y avais pas pensé comme ça mais c'est chouette.
– Que signifie le titre "E.V.I.L" écrit en acronyme ?
Yannick – J'aime bien que chacun invente le sien. Y a pas de signification, c'est un truc graphique.
– Comment fait-on pour mener plusieurs groupes en parallèle ?
Mathieu – On ne dort pas beaucoup. Mais c'est chouette. Les groupes se nourrissent entre eux. L'idée peut circuler comme un ballon d'une équipe de foot qui se connaît bien. C'est juste épuisant parce que là les timings sont serrés, entre la Maison Tellier et Animal Triste, parce que tout sort en même temps.
– Jusqu'où on peut mener 2 projets en parallèle ?
Mathieu – Ça s'équilibre. Certaines années il y aura plus de l'un, ou plus de l'autre... La joie de se retrouver sera toujours la même.
Yannick – La seule ligne de conduite est que ça te plaise. Que ça fasse du sens, la musique que tu fais, et les gens avec qui tu la fais.
– Mathieu a rejoint la Maison Tellier : ça s'est passé comment ? Et pourquoi ?
Yannick – C'était au printemps 2021.
Mathieu – On se connaît depuis tellement longtemps. C'est un groupe dont je suis fan depuis 2006, je connais toutes les chansons. Les gars m'ont demandé parce que leur batteur voulait faire d'autres choses. Tu te doutes bien que je n'ai pas réfléchi 3 fois.
Yannick – Le truc était écrit, c'était une question de timing, ça a pu se faire, c'était juste normal en fait.
– Est-ce que Fabien, Cédric et Darko vont suivre le même chemin ?
(rires des 3)
Cédric – Qu'est-ce qu'on peut faire à 2 basses ? 1 batterie, 2 basses, ça peut faire un groupe de post-rock intéressant.
Mathieu – Faut monter un autre projet.
Yannick (à Cédric) – Tu peux venir faire de la percu. Faut qu'on réfléchisse, mais tout est possible.
Mathieu – Ça ferait combien ? 8 sur scène !
Cédric – Peut-être pour une super grosse date la Maison Tellier, on ferait un happening !
– Je vous propose de regarder la liste des albums chroniqués sur japprecie. Quels sont ceux que vous appréciez ? Alors cette liste tient sur 3 feuilles et demie, comme ça y en a pour vous 3.
Mathieu – Ici j'ai un Other Lives que je prends. J'ai No Money Kids que j'avais écouté, que j'avais trouvé cool sans creuser plus que ça. Jil Is Lucky je connais bien son batteur, mais je n'ai pas écouté.
Yannick – Ah je me souviens, on les avait croisés pas mal.
Cédric – Moi j'ai vous.
Mathieu – I am Stramgram on devait jouer avec lui et ça ne s'est pas fait.
Yannick – Eh bien moi j'ai Tom McRae. "What a way to win a war" c'est sur celui-là ?
– Oui.
Cédric – Bror Gunnar, on partage l'ingénieur du son avec lui.
Mathieu – Ah, Puts Marie dis donc ! C'est Fred Lomey, notre tourneur, qui les a sortis. Eiffel aussi d'ailleurs.
Yannick – Moi j'ai William Z Villain, ça j'aime bien. Le mec un peu one-man-band, blues-folk...
Mathieu – Tamino c'est le Belge qui fait du Buckley c'est ça ?
– Oui, mais pas que.
Mathieu – Pas que, non, il a repris une chanson de Chris Cornell qui était très bien, "Seasons", et c'est pas un truc facile à faire.
Yannick – Rover, il était bien cet album.
Mathieu – Ah Exsonvaldes, oh là là ! J'ai joué beaucoup avec eux, ils étaient sympas ces mecs-là. The Mission, Yannick, on n'avait pas écouté ça ? le mec qui est mort ?
– Il n'est pas mort !
Mathieu – Je confonds avec un autre.
– Leur chanteur Wayne Hussey a une voix très éraillée, c'est très noir, beaucoup de guitare, bien rock, et ça parle beaucoup de religion aussi. C'est pour ça que je faisais un parallèle avec le dernier Animal Triste.
Mathieu – Nick Cave disait : « Je ne suis pas croyant, sauf quand j'écris et que je fais des chansons. » J'aime bien le côté 'sacré'.
– Avez-vous d'autres artistes à suggérer aux japprecinautes ?
Mathieu – En ce moment y a un truc avec le groupe Night Beats. Qu'est-ce qu'on écoutait d'autre dans la voiture les amis ? Le regretté Mark Lanegan.
Cédric – Sa vie, son œuvre.
Mathieu – J'encourage à lire sa bio. Chelsea Wolfe. Un groupe de Rouen qui s'appelle Ellah a. Thaun. Je suis retombé dans Gallon Drunk. J'ai beaucoup de choses à écouter, je n'ai pas fait tous mes devoirs. Yannick, tu m'as dit qu'il fallait que j'écoute Manchester Orchestra.
Yannick – Oui, moi j'aime bien ça.
Mathieu – Et à découvrir, ça a trois-quatre ans, un album d'un groupe qui s'appelle Muzz.
Cédric – Oui, c'était chouette ça. Et je te disais que j'étais retombé dans Fontaines D.C. (le 2e), vraiment cool.
Mathieu – J'ai téléchargé la compil de Murat, sur les gens qui font des reprises.
Yannick – Et puis Nick Cave.
Cédric – Sa vie, son œuvre.
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– Comment gérez-vous le temps, la durée, dans vos chansons ?
Mathieu – C'est une question qu'on ne se pose pas. Si une chanson nous fait chier c'est qu'elle est trop longue.
Cédric – C'est un bon indicateur.
Mathieu – J'adorerais faire un morceau fleuve. Un "The end" à nous. Un peu présomptueux mais je ne serais pas contre. Sans rentrer dans le progressif, mais un morceau qui s'étire comme un fleuve qui déborde, c'est génial.
– Sur quels critères vous allez dire « Celle-là on va plutôt la raccourcir, celle-là ce serait une bonne idée de l'allonger » ?
Yannick – C'est l'instinct, l'intuition.
– Plus que l'expérience ?
Yannick – L'intuition dérive de l'expérience. Il y a des éclaireurs qui sentent le truc un peu plus vite que les autres. Et quand tout le monde les rejoint, on se rend compte tous les 6 que c'est cohérent, pertinent, évident en fait.
– Les éclaireurs sont toujours les mêmes ?
Yannick – Je sais que Mamat' est un très bon éclaireur.
Mathieu – On est tous les 6 des éclaireurs.
Yannick – Après, y a des influences que je ne connais pas forcément, dans le metal, avec les codes de ces musiques-là. Par exemple, sur "Play god" ça s'appelle comment ?
Mathieu – Breakdown. C'est-à-dire que tu as ton tempo puis d'un seul coup tu le casses.
Yannick – Et donc ça fait un effet immédiatement reconnaissable, très typé. Si on le démarre il faut le faire proprement, donc ça va durer tant de mesures etc.
– Et dans vos concerts, vous gérez le temps pareil ? Y a des variantes ?
Yannick – Oui, y a des ponts où on va s'autoriser ça, mais les morceaux sont quand même relativement fidèles à la version album.
Mathieu – Avec la sauvagerie en plus parfois.
Yannick – Y a des jolis accidents, oui. -
• Yannick : le peintre Baselitz
• Mathieu : le livre Replay, de Ken Grimwood
• Cédric : le pamplemousse -
les infos
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La phrase
« La lune, ça éclaire la nuit, alors que le soleil éclaire quand il fait déjà jour, donc la lune c'est mieux. »
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euxwww.animaltriste.com (125 Clics)
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…Et maintenant, écoutez !
- animaltriste.bandcamp.com (90 Clics)
- www.deezer.com/fr/artist/76778222 (112 Clics)
- open.spotify.com/artist/4w7FwiYOd9cJQ7Pr5o31Eh (67 Clics)
- www.youtube.com/channel/UC9UxE40IjNh_ZMSsAbrPhTQ (65 Clics)
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Créé le8 avril 2022
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Propos recueillis le 10 mars 2022.
Merci à Animal Triste et au Bouillon.