Interview de Liz Van Deuq
Écrire pour se faire du bien
– Bonjour. Peux-tu nous retracer un peu ton parcours ? Comment en es-tu venue à la musique ? à la composition ? à la scène ?
– J'ai commencé par le piano à l'âge de 6 ans, ensuite j'ai fait des études de musique, la fac de musicologie. J'ai un parcours qui a un petit peu de choses institutionnelles comme des diplômes, et du temps libre pour faire des groupes de musique actuelle puisque c'était ça qui m'intéressait au départ : être claviériste pour des groupes de funk, de jazz, avec mes cousins. J'ai fait des groupes de reprises aussi, j'ai fait du bal, mais j'étais intéressée par l'écriture de chansons. Ma 1re chanson je l'ai écrite à 17 ans. Mais ça n'a jamais été quelque chose d'évident. J'ai commencé à écrire à partir du moment où j'ai écouté des disques de chanson, que je recevais. J'ai été journaliste radio pendant 5 ans, d'abord dans une petite radio associative, puis à Vibration. On est au centre de plein de sollicitations pour écouter de la musique, pour sortir, pour voir des concerts, et c'est devenu une activité. Et en tant que journaliste on croise aussi pas mal d'artistes et on a envie de voir comment ça marche. Je suis professionnelle maintenant depuis 8 ans.
– D'où vient ton pseudo ?
– De Van (Vanessa), Deuq (Dequiedt) et Liz parce que j'aimais bien. Et ça faisait un petit peu germanophone et hollandais. L'idée me plaisait parce qu'ils ont une rigueur qu'on n'a pas et que j'apprécie, qui m'influence. Ludwig van Beethoven...
– Sur scène tu racontes que tu voulais faire du métal. C'est pour la blague ou il y a une part de vérité ?
– Je me suis vraiment inscrite à un stage de voix saturée.
– Y a des stages pour ça ?
– Oui. Y a des gens qui étudient comment la voix fonctionne pour ne pas être abîmée lorsqu'on est en saturation. J'y suis allée parce que j'avais envie de voir ce que ça donnait. Donc c'est ça la part de vérité : j'ai vraiment fait ce stage, j'ai vraiment eu mal après. Je n'ai pas bien compris les consignes pour ne pas se faire mal apparemment.
Après, non je n'ai jamais vraiment voulu faire de groupe de métal. Par contre j'avoue que ça me fascine qu'on puisse aimer ça en tant qu'esthétique musicale. Je trouve ça bien, c'est un style de musique qui est moderne, qui intéresse beaucoup la scène indépendante. Ce sont des gens, du moins les amateurs, ou semi-pros, qui sont d'une sympathie et d'une ouverture qu'on ne voit pas dans nos milieux où nous sommes regardants sur nos cachets, sur les conditions.
Je n'aime pas trop le métal, en tout cas pour la santé de mes oreilles. Mais je trouve ces personnes adorables et ce sont de très bons techniciens de l'instrument souvent. Donc j'ai une espèce d'émerveillement curieux mais distancié parce que je les aime bien, ce sont des nounours.
– Si on dit que tu fais de la chanson à texte, le terme te convient ?
– Oui parce que je passe suffisamment de temps sur les textes. Peut-être ça a une connotation pompeuse ou intellectuelle mais ça ne me dérange pas.
– Tandis que "le cœur est un muscle", tes chansons, elles, semblent se répartir en 2 veines : la veine astucieuse-amusante, et la veine aérienne-épurée. Tu souscris à ce constat ?
– Oui, c'est ce qui s'est dégagé sur le 2e album. Quand on commence à écrire il y a des évidences qui apparaissent. "Tiens, celle-ci va être une chanson calme." La notion de tempo lent ou de douceur va apparaître.
– Est-ce un choix délibéré d'avoir ces 2 aspects ?
– Non. Mon objectif est d'écrire des chansons qui me font du bien. Je freine mon envie d'écrire des chansons déprimantes.
– Pourquoi ?
– Je pense que quand on écrit des choses déprimantes on se déprime soi-même. Parce que quand on écrit on vit avec son écriture, des heures et des heures. Je suis obligée d'en faire de temps en temps parce que la mélancolie fait partie de la grammaire des auteurs-compositeurs, qu'on le veuille ou non. Mais je pense qu'être trop dans la mélancolie peut être mauvais pour la santé.
– Et puis après faut les jouer régulièrement.
– La répétition de la chanson, sur scène... faire une année avec juste un set de mélancolies c'est un peu dommage. Un spectacle ça doit être des grosses variations entre des émotions : rire, mélancolie, joie, espoir... On se fait vivre ces émotions, et c'est sain.
– À l'inverse, j'ai interviewé Tamino. Pour lui il faut avoir le courage de regarder la mélancolie en face. Donc lui il se sert de ça mais différemment.
– C'est intéressant, oui. À voir ce que ça donne sur plusieurs années. Ça rejoint un peu le discours de la méditation.
– Ton 2e album, sorti fin 2018, s'appelle Vanités. Pourquoi ce titre ?
– Parce que j'avais fait un 1er album qui s'appelait Anna-Liz qui venait de Liz, et Vanités vient de Van.
– D'accord, je n'y avais pas pensé.
– Après, le 2e sens, sur la pochette, Bruno du label Néômme avait fait des petites têtes de mort, des choses comme ça, et il y avait une forme de vanité au sens médiéval du terme, c.à.d. un crâne qu'on pose sur une table et qui rappelle l'existence de la mort.
Le 3e sens : faire de l'art est pour moi une forme d'arrogance, une forme d'acte gratuit. Pour moi il y a quelque chose de prétentieux à être artiste. Mais j'espère ne pas être vaniteuse.
– C'est pour t'en défendre ?
– Peut-être, oui.
– Dans tes concerts, tu as une espèce de figure imposée, que tu appelles le "poème minute". D'où ça te vient ?
– C'est venu d'une tournée en collectif avec des artistes, à un moment donné on avait commencé à insérer un poème au milieu de chansons. Ça faisait du bien parce que ça faisait une respiration. C'était le même poème tous les soirs. En solo je me suis dit que faire un poème c'était une bonne idée, qu'il fallait faire quelque chose qui soit rattaché au moment présent et au lieu pour que ça soit différent, que ça soit la parenthèse imposée mais personnalisée. Et ça fait énormément de bien. Bon, c'est une contrainte, c'est quand même une demi-heure avant le spectacle, où il y a des choses techniques à voir, des discussions avec les techniciens pour être sûrs que tout est OK, qu'on n'a pas oublié des choses, la mémoire du spectacle...
– Tu l'écris au dernier moment ?
– Je l'écris vraiment le jour même, une heure avant.
– Donc ils t'appellent tous pour faire les balances et toi tu dis "non non je fais mon poème" ?
– Ouais. Alors non, je fais mes balances pour de vrai, je suis obligée, faut que je puisse prendre mes marques, et au niveau de la lumière aussi.
– Tu revendiques la timidité, quasiment comme un étendard.
– Ah ouais ?
– C'est ce que j'ai ressenti.
– Je vis avec depuis longtemps et ça fait partie de moi un peu, dans certaines situations. C'est un bouclier aussi. C'est peut-être juste une habitude. Une mauvaise habitude ? je ne sais pas.
– Beaucoup d'artistes sont timides.
– Tu parles de la timidité sur scène ou dans la vie ?
– Dans la vie.
– Je pense qu'il faut être timide dans la vie.
– Penses-tu que les gens timides soient inexorablement désavantagés dans la société d'aujourd'hui, ou au contraire qu'ils sont une chance pour résoudre les problèmes du monde ?
– Peut-être qu'il y a un entre-deux. Je pense que c'est simplement de la politesse et du savoir-vivre. On ne peut pas dire tout ce qu'on pense, parce qu'il y a des codes, et qu'on ne les connaît pas tous. Parfois on les brave sans faire attention, on peut blesser des gens. Je crois qu'en psychologie la timidité s'explique par un phénomène d'avoir eu honte quand on était petit, d'avoir dit quelque chose et puis finalement d'être en retenue... J'ai lu Isabelle Filliozat, parce que je m'intéresse beaucoup aux émotions et comment ça fonctionne. La psycho c'est le dictionnaire des émotions, que j'aime ouvrir pour comprendre comment je fonctionne, comment je peux m'en servir, comment je l'écris, comment je la décris, comment je crie. Et puis je suis française en fait, et je pense que beaucoup de Français sont timides parce qu'on est éduqué comme ça. Dans des pays comme les États-Unis ou le Canada, les gens n'ont pas ce rapport à la timidité. Moi j'ai été dans des écoles où si on voulait prendre la parole il fallait qu'on lève le doigt. C'est ancestral. Mon père, à table, dans sa famille, il ne pouvait pas parler.
– Je te propose de regarder la liste des albums chroniqués sur japprecie. Quels sont ceux que tu connais ? Quels sont ceux que tu apprécies ?
– Clara Luciani, les parties de basse sont vraiment cool.
– Ah oui, j'ai remarqué aussi, et ça me rappelait la basse qu'on trouve chez Robi.
– Volo j'adore. C'est un groupe extraordinaire, ils ont tout, ils écrivent très très bien. Ils sont de la région (Tourangeaux). Ils sont prolifiques. Ils tournent tout le temps. C'est un groupe modèle.
– Ils ont tout, sauf le succès qu'ils mériteraient, peut-être ?
– En fait la notion de succès pour moi elle est satellite, ce n'est pas une priorité pour se sentir avoir sa place dans ce métier. Moi les gens ne sont pas au courant de tout ce que j'ai fait et de comment je vis les choses. Simplement mes 8 dernières années c'est beaucoup de bonheur, beaucoup d'énergie à aller faire des concerts loin, les dépressions post-concert, on est en flux d'émotions en permanence. On fait ce métier-là par curiosité et peut-être parce qu'on est intéressé par le succès, mais en fait on peut quand même vivre de ce métier-là sans avoir le succès que la culture de masse projette sur nous.
– Oui. Mais il y a un minimum quand même pour...
– Faut vivre.
– C'est ça.
– Moi je vis. Y a eu les 3 premières années vraiment difficiles financièrement parlant, et des années positives. Là ça redescend parce que le disque ne marche pas trop. En vieillissant on se demande si on continue ou pas, qu'est-ce qu'on fait... Je pense que c'est très pratique d'avoir du succès, mais ce n'est pas un but en soi. Et puis, qu'est-ce qu'on est prêt à faire pour rentrer dans l'industrie ? Je ne sais pas si c'est facile à vivre comme expérience.
– Faut être armé, blindé.
– Oui. Mais personne n'est blindé.
Rover c'est une voix magnifique.
Daran, il est à Montréal. Je l'ai rencontré à la SACEM, c'est un bon copain à un ami à moi. C'est quelqu'un qui travaille beaucoup aussi, qui réalise des albums, c'est un passionné.
Pomme je l'ai vue sur scène. Sympa.
Et puis Yann Pierre faut que j'aille le voir en concert.
Agnes Obel c'est cool, j'aime bien. Cet album-là en plus je l'ai. C'est magnifique, les effets sonores, le vocabulaire du son.
– As-tu d'autres artistes à suggérer aux japprecinautes ?
– Je suggère : Clio, Lily Luca, Clarika, Bernard Joyet, Chloé Lacan, Nicolas Jules. Et surtout de se laisser tenter par la découverte d'artistes sur scène ici et ailleurs. La scène chanson est magnifique.
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– Comment gères-tu le temps, la durée, dans tes chansons ?
– C'est à peu près 3 minutes, une chanson. Je gère surtout le rythme des mots et les couplets. La durée d'une chanson, je m'en soucie au moment de l'enregistrement pour des raisons de format radio mais en dernier recours. Je suis trop auteure pour être soucieuse du temps et de la sociologie de la durée d'écoute.
– Oui mais ça peut aller avec le texte aussi : si un texte est très très long et raconte beaucoup de choses, ou si au contraire il est très court et répété deux-trois fois puis c'est terminé.
– J'ai toujours écrit de manière courte, j'ai une tendance à la concision et à la synthèse. Avec l'influence de ce que je peux voir ailleurs, ou des livres, je me rends compte que finalement la description et le rôle de la métaphore, d'un petit peu de tartinade littéraire, ça a du sens aussi. Mais naturellement ça ne vient pas comme ça. J'aime aller à l'essentiel de l'émotion.
– Et dans tes concerts ?
– Aussi. Sauf quand je raconte un peu ma vie entre les morceaux. Mais ça a un autre rôle. Un concert comme je l'envisage est une rencontre. J'aime le côté "présence théâtrale" et le côté conversation. Et vivre le concert comme si c'était un moment de la vie de tous les jours. Pas quelque chose de grandiloquent, avec la puissance... C'est pas le style. -
• sa solitude
• marcher
• les spectacles qu'elle va voir -
la conformité
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La phrase
« Les gens qui font du métal sont des nounours. »
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elle
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…Et maintenant, écoutez !
- www.deezer.com/fr/artist/536215 (240 Clics)
- open.spotify.com/artist/7jSm6LZwurMzC9yLK3xG5m (209 Clics)
- soundcloud.com/lizvandeuq (191 Clics)
- lizvandeuq.bandcamp.com (179 Clics)
- www.youtube.com/channel/UCTJu2H2ILc-ABmyOKRtVXag (155 Clics)
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TagsChloé Lacan | Bernard Joyet | Clarika | Lily Luca | Clio | Isabelle Filliozat | timidité | succès | Liz Van Deuq | Nicolas Jules | metal | interview | concert | chanson française | textes
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Créé le16 avril 2019
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Propos recueillis le 29 mars 2019.
Merci à Liz Van Deuq et à la médiathèque de Saran.