Interview de Yann Pierre
L'anar inquiet
– Pour commencer pourrais-tu te présenter un peu, pour les malchanceux qui ne te connaîtraient pas encore ?
– Alors je suis Yann Pierre, guitariste, chansonneur. Dans cet ordre parce que j'ai commencé par la guitare. Et chansonneur parce que je ne suis pas vraiment un chanteur. Je chante parce que j'écris des chansons, sinon je ne chanterais pas.
– C'est-à-dire que tu pourrais avoir tes chansons interprétées par quelqu'un d'autre accompagné par toi à la guitare ?
– Je l'ai déjà fait pour des copains, des copines. Ce n'est pas encore sorti au Top 50. Notamment pour Urbain Lambert. Je ne l'ai pas fait beaucoup, mais pourquoi pas. Et puis j'aime bien chanter, j'aime bien faire des concerts. J'ai commencé par la guitare à 17 ans, et puis il me manquait quelque chose, j'ai donc commencé à écrire des chansons vers 25 ans.
– Je suis un peu perdu dans toutes tes identités. Comment faut-il t'appeler ? Yann Pierre ? YPC ? I are Bilingue ? Glandeur 1er ? Frère Yann Pierre ?... Tu peux nous faire le point ?
– (rires) Mon père s'appelait Jean-Pierre – paix à son âme – et il est décédé à la période où je cherchais un nom de scène. Il y a un guitariste gitan que j'aime bien c'est Paco de Lucia : Paco c'est lui et Lucia c'est sa mère. Donc je voulais rendre hommage comme ça.
– "Yann de Pierre" ça aurait fait noble.
– Yannos de las Piedras (rires)
Sinon, Glandeur, c'est avec les Glandeurs de Gergolie, avec qui on va refaire quelques dates. J'aime bien jouer avec eux.
– Alors ça y est, tu es passé au numérique total ? (Voir photo.) Finis les CDs ?
– Oui. Je n'ai même plus de lecteur. Je n'achète plus de CD, donc je n'en vends plus. Et puis un CD il faut en faire 500. Les clés USB je peux les faire par une, et sur une clé USB il y a tous mes albums. C'est surtout pour partager ce que je fais.
– Donc tes productions, on peut encore parler d'albums ?
– Je suis un chansonnier, pas un albumier. Album c'était surtout un truc commercial pour vendre 10 chansons au lieu d'une. Je fais des chansons une par une, et quand il y en a qui vont ensemble je fais un album. J'essaie de faire des albums plus cohérents maintenant, parce qu'avant c'étaient les chansons faites dans l'année donc il y avait du métal et de l'acoustique. Là j'en sors un bientôt qui s'appelle Courtoisement et qui est vraiment très rock. Et après je vais en faire un plus calme.
– Comment abordes-tu la scène ? Les concerts, c'est quelque chose d'important pour toi ?
– Ah oui, j'aime bien. Je n'en ai pas assez, j'aimerais bien en avoir plus. Donc je fais un appel à ceux qui veulent. Je joue partout : dans les salles de bain, ...
Et j'aime bien faire des nouvelles choses sur scène, un peu l'esprit jazz, un projet avec un quartette, un duo, un trio... Mais avoir un groupe figé, toute ma vie, je ne peux pas. Je suis assez volage artistiquement.
– Tu te verrais faire un spectacle entier complètement humoristique, comme Oldelaf par exemple ?
– Pourquoi pas. C'est marrant parce que j'ai entendu des chansons de lui qui ne sont pas du tout humoristiques. Moi j'ai des chansons que je ne fais pas sur scène encore, qui ne sont pas du tout marrantes. Sur l'écologie... des fois c'est pas drôle. Par exemple hier on a fait "Château-Gaillard". Quand c'est avec des musiciens, ces chansons-là passent mieux je trouve. Quoique mes chansons marrantes ne plaisent pas à tout le monde. Ça décape quand même hein !
– Tu préfères la guitare acoustique ou la guitare électrique ?
– (clair et net) Les deux.
– Et pour quelles raisons ?
– J'ai commencé par la guitare rock, c'est vraiment ce qui m'a amené dans la musique : Slash, Van Halen, Hendrix. Par contre ce que j'aime dans l'acoustique c'est que tu n'as pas besoin d'une centrale nucléaire pour jouer. C'est la liberté totale, tu peux jouer partout.
– Ta chanson "Le roi des conditionnés" s'adresse à quelqu'un en particulier ?
– À moi d'abord. Souvent je parle de moi, même si je dis tu. Tout ce que je suis ou que j'ai pu être. Ma propre bêtise est une source intarissable d'inspiration. C'était un mélange d'idées que j'avais...
– C'est un peu nous tous en fin de compte ?
– Oui, voilà.
– Finalement, Dassault l'a enfin arrêté, son char. ["Arrête ton char Dassault", l'une de ses anciennes chansons (N.d.R.)] Content ?
– (rires) Oh, je ne me réjouis pas de la mort de quelqu'un, même si je ne m'en attriste pas dans ce cas-là.
– C'était Dominique A qui avait fait une chanson : "Il ne faut pas souhaiter la mort des gens... ça les fait vivre plus longtemps".
– (rires) Dassault, je l'ai rencontré. À Étampes, dans un petit resto chinois, il est arrivé avec le maire d'Étampes, ils se sont mis dans l'arrière-salle, ils ont discuté des futures sénatoriales, il y avait ses 2 gardes du corps, je me suis dit : "Si je le bute, je serais célèbre."
– Pas longtemps.
– Mais à quoi bon ? Si ce n'est pas lui ce sera un autre. Je suis moins radical qu'avant.
– Moins anar ?
– Oui, je suis croyant, mais je suis anar. Je crois en Dieu, je n'ai pas de religion, mais je suis assez spirituel, je m'interroge. Mais anarchiste dans le sens où je suis en quête de liberté. Par exemple pour mes cours [il est prof de guitare (N.d.R.)] je suis en indépendant, je n'ai pas de patron. Je veux bien un dieu, mais je ne veux pas de maître.
– Justement on reste dans la politique. Tu aimes dire que tu as écrit des chansons de gauche sous Jospin, des chansons de droite sous Sarkozy... Et aujourd'hui ? Tu t'es mis à la randonnée pédestre pour écrire des chansons en marche ?
– (rires) Je fais beaucoup de vélo ! Je suis moins dans la politique, j'écris pas mal sur l'écologie en ce moment, et après plutôt l'existentiel, les questionnements... Mais la politique actuelle, ça me fait chier, c'est de la comédie. C'est Frank Zappa qui disait que la politique c'était la société du spectacle du complexe militaro-industriel. Et en fait ces gens-là sont des pantins. Trump c'est un peu le pantin de l'industrie de l'armement américain. Et de l'économie. Ils l'ont mis là, s'il ne fait pas ce qu'il faut il se prendra une balle comme Kennedy, peut-être.
– Ce n'est pas lui qui fait, ce sont les gens derrière.
– Oui voilà. Et puis comme en France. Les nouveaux rois, ce sont les milliardaires et les multinationales. Il y a un proverbe de Vialatte qui dit : "Les peuples font des rois pour leur couper la tête." J'ai l'impression que c'est la responsabilité de tous.
– Nous on lui coupe la tête tous les 5 ans.
– Voilà. Moi je dis qu'il faudrait nationaliser Bernard Arnault tout court.
– Ah c'est une idée.
– Celui qui met ça dans son programme, je pense qu'il est élu.
– Ça va plaire à Ruffin, Merci patron !
– J'adore Ruffin, je le suis beaucoup. Il fait vraiment la politique comme je l'aime, lui, par passion. Il n'y a pas un ego qui prend le dessus. Lui et Taubira sont les rares personnes à qui j'accorde du crédit. Je ne suis plus un révolutionnaire, je suis peut-être un évolutionnaire. Reconstruire un monde sur un bain de sang... il y a peut-être mieux ?
– Tes chansons traitent, généralement de façon ironique, de l'état du monde et de l'environnement. Ce sont des sujets qui te préoccupent à quel point ?
– Viscéralement je suis plus inquiet de l'avenir sachant que j'ai des enfants. Mais je m'inquiétais quand même pour les enfants des autres avant. J'ai fait une chanson qui s'appelle "Congelez vos gosses", sur le fait qu'il y a tellement de gens qui s'en foutent, que ça n'a pas l'air de soucier, et qui ont des gamins. Donc je me demande quel avenir ils leur prédisent à part les congeler. C'est provocateur.
– Tes chansons sont-elles recyclables ? Vas-tu les mettre dans la poubelle verte ?
– Disons que... sur le Net c'est du nucléaire. Sur scène c'est du CO2. C'est ma pollution sonore (rires), j'essaie de la rendre un peu moins dégueulasse.
– Je te propose de regarder la liste des albums que j'ai chroniqués sur japprecie, et de me dire ceux que tu connais, ceux que tu apprécies ?
– Je connais Daran.
– C'est quelqu'un que tu aimes bien ?
– Oui. Je connais surtout la période Daran et les chaises avec Éric Sauviat à la guitare, surtout l'album Huit barré. Il est parti au Québec je crois. Oui, j'aime beaucoup les textes et puis la voix et le choix instrumental.
Après je ne connais pas grand chose en fait. Quand tu fais de la musique tu en écoutes moins.
Alphaville, j'ai "Big in Japan" dans ma liste Deezer, ce sont les musiques de mon enfance.
– Ils ont continué, tu vois, un album en 2017 qui est intéressant.
– Alors sinon... Gunwood j'ai entendu quelques morceaux sur le Net, avec une voix puissante un peu rauque, il pourrait faire du métal lui.
Franz Ferdinand, j'ai des élèves qui m'ont fait connaître. Musicalement c'est intéressant, mais je ne connais pas des masses.
Pomme j'ai entendu parler.
Volo, je les ai connus par les Wriggles. J'avais fait leur première partie, c'est là où on s'est connu d'ailleurs. Et c'est un concert vraiment dont je me rappelle.
– C'est une des plus grandes salles que tu aies faites sans doute ?
– Oui, et j'avais fait le Grand U [Grand Unisson, festival en juin près d'Orléans (N.d.R.)] où il y avait pas mal de monde, il y a longtemps [2008 (N.d.R.)], il y avait Amel Bent après moi, c'est pour ça qu'il y avait du monde.
Frédéric Fromet oui j'aime bien.
– Ça paraît logique.
– Après musicalement c'est moins mon truc parce que ce n'est pas très guitaristique, là c'est vraiment chanson à texte comme on dit, et puis sur l'actualité, mais oui oui.
– C'est un pur chansonnier.
– Oui voilà, même plus que moi. Moi je suis chansonneur, lui chansonnier.
De Palmas je connais comme tout le monde. Je fais travailler les morceaux à mes élèves. Il a fait des belles chansons, il a un son à lui. Dans le paysage actuel c'est un mec qui est bien, c'est un musicien tout court, pas une starlette.
Après, Matthieu Malon je connais un petit peu sur le Net...
– C'est un Orléanais.
– Oui, mais je ne l'ai jamais vu sur scène. Quand tu vas sur YouTube tout ça, c'est bien, mais ce qui te marque c'est un concert.
Faut que j'aille plus souvent sur ton site pour écouter...
Moi j'écoute beaucoup de métal, jazz, jazz-rock, musiques du monde...
– Justement, hormis bien sûr tes idoles Christophe Maé, Carla Bruni ou Julien Doré, as-tu d'autres artistes à suggérer aux japprecinautes ?
– Nicolas Jules, chez les chanteurs français vivants. Ses textes c'est l'apothéose. Il tourne beaucoup, il y a beaucoup de chansons d'amour et puis il y a une plume, une voix, un jeu de guitare.
Brigitte Fontaine, que j'adore, au niveau de la plume.
Lofofora, pour l'énergie du métal et les textes puissants.
Après, ça va de Slayer à du oud traditionnel syrien.
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– Comment gères-tu le temps, la durée, dans tes chansons ?
– Jusqu'à présent je suis assez classique dans le sens couplet-refrain, quelquefois un pont, un solo. Ça fait entre 3 et 6 minutes.
– C'est plus rare, 6 minutes, chez toi.
– Je m'interrogeais là-dessus. Pourquoi pas un jour faire un album avec une seule chanson de 30 minutes. Ou 45.
Mais je suis assez classique : une mélodie, une suite d'accords, des textes. J'aime bien quand il y a un refrain qui reste un peu en tête. C'est mon côté Brassens.
– Et dans tes concerts ?
– Ils durent en général 1 heure et quart, 1 heure et demie. Souvent en solo.
– Les chansons font la même durée ?
– Peut-être un peu plus courtes des fois, vu que je suis en solo. Mais j'essaie de plus développer des parties instrumentales, pour respirer, parce que que du texte du texte du texte, à un moment je me saoule moi-même.
– Tu ne rajoutes pas de bandes, des trucs pré-enregistrés, un rythme ?
– J'ai du mal. J'ai pensé le faire à un moment, mais...
– Et l'auto-sampling ?
– J'ai essayé. J'en ai eu un ; je l'ai vendu au bout d'un mois. J'ai envie de simplicité. J'ai vu des mecs sur scène, tu ne sais plus ce qu'ils jouent tellement il y a de sons derrière. J'aime bien que la chanson puisse marcher au naturel. -
• le vélo (emmener sa fille à vélo en promenade)
• Waed Bouhassoun (chanteuse syrienne joueuse de oud)
• François Ruffin (vraiment un mec qui fait du bien en politique) -
sa vésicule biliaire
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La phrase
« Ma propre bêtise est une source intarissable d'inspiration »
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luiyannpierre.net (261 Clics)
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…Et maintenant, écoutez !
- open.spotify.com/artist/6JtR517qPOBU2PR0a5yjWs (196 Clics)
- www.youtube.com/channel/UCJG4bh5o4ZOo2owsz574KgA (145 Clics)
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TagsLofofora | Brigitte Fontaine | Nicolas Jules | Urbain Lambert | metal | François Ruffin | écologie | Yann Pierre | politique | interview | concert | chansonnier | guitare | textes
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Créé le1 novembre 2018
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Propos recueillis le 14 octobre 2018.
Merci à Yann Pierre.