Interview d'I am Stramgram
Selon l'humeur
– "I am Stramgram", d'où vient ce nom ?
– Sur beaucoup de précédentes chansons il y avait un rapport avec le souvenir. J'aimais bien essayer de creuser des images enfouies dans ma tête, liées au passé, et du coup le côté "am-stram-gram" c'était un peu la chanson pour enfants.
Et il y avait les 3 gamins Am, Stram, Gram dans L'étrange noël de Mr Jack, qui enlèvent le Père noël.
Et 3e raison, "I am Stramgram", j'aimais bien que ce soit un peu compliqué à dire. Et puis je trouvais ça esthétique quand c'était écrit.
– Tu chantes en anglais, mais avec des petites touches de français de temps en temps. Pourquoi ce parti pris ?
– Je fais partie de cette génération qui a grandi avec les artistes indé anglo-saxons. L'anglais est une langue que j'aime bien, qu'on peut maltraiter, qu'on peut tordre, et dans laquelle il y a une musicalité naturelle, avec le rapport à la pop et au rock.
Et j'ai passé beaucoup de temps à l'étranger. Donc, même si je fais toujours corriger mes textes, j'arrive à mettre en mots en anglais les images que j'ai, et ça me plaît bien. Mais je fais toujours très attention aux textes, ainsi qu'à la prononciation, aux toniques, aux subtilités de la langue.
Après, les petites parenthèses françaises permettent d'emmener le morceau ailleurs, de le redescendre dans un aspect concret. Je trouve très difficile d'écrire uniquement en français parce que le premier truc que tu te prends dans la face, c'est le sens. J'aime bien quand c'est un peu plus mystifié, un peu plus alambiqué, un peu plus poétique, pour que ce soit aux personnes qui entendent de trouver un chemin de compréhension.
– Tu as expliqué que la thématique de ton nouvel album When the noise becomes too loud était le manque d'oxygène, qu'il soit positif en milieu aquatique ou négatif en milieu urbain. Y avait-il une thématique sur le précédent Tentacles aussi ?
– C'était plus lié au souvenir, que ce soit "Pack your toys", qui parlait d'un déménagement de quand j'étais petit, ou "Safes" qui parlait de notre patrimoine de souvenirs comme d'une espèce de coffre-fort qu'on porterait sur les épaules et avec lequel on se baladerait en avançant dans la vie. Après, "Saut de ligne" parle d'un bouquin qui s'appelle Karoo qui est un de mes préférés et "Camilla" parle de Demande à la poussière de Fante. "Serra's snake" parle des serpents de Serra, au Musée Guggenheim : quand tu marches là-dedans tu as l'impression d'être en suspension, il y a un truc cool qui se passe.
Cet album défendait un aspect bricolage-collage de souvenirs, un patchwork, un éclatement, qu'on retrouve aussi dans la pochette.
– Il y a un côté bricolage assumé, dans ton travail.
– Carrément ! Ça fait partie des choses qui me caractérisent. Sur scène aussi on bricole beaucoup.
– C'est ce qui fait toute la richesse du truc.
– Tant mieux. C'est plutôt positif alors.
– Tu annonçais pour ce nouvel album un son plus électronique. Tu n'es pas devenu un artiste électro pour autant.
– Non non.
– Tu cherches ta place, ou tu t'en fous et tu fais ce qui te plaît ?
– Je m'en b***** complet. Si ça touche des gens je suis absolument ravi, mais la première démarche c'est de faire ça parce que tu as envie de le faire. Et effectivement, si passer de la guitare folk à des bricolages derrière l'ordinateur est ce qui me parle sur le moment, je vais faire ça.
Je ne cherche pas ma place, par contre je cherche au sens large du terme. Dans le sens expérimenter avec mes petits moyens. À l'époque où on a enregistré l'album je ne supportais pas la guitare et puis là j'y reviens. Ça dépend de l'humeur.
– C'est quoi ta recette pour faire une chanson ? Tu mets quoi dans ta marmite, et dans quel ordre ?
– S'il y avait une recette, tous les morceaux qu'on ferait seraient des tubes. C'est pour ça que la notion de recherche est importante. Tu vas essayer un truc qui marche un jour et ça ne marchera plus le lendemain.
– Parce que tu recherches le tube ?
– Pas forcément. J'aime les mélodies accessibles, mais un peu alambiquées. Mais c'est l'essence de la pop et du folk d'avoir des mélodies catchy qui reposent sur peu d'accords.
Mes recettes à moi c'est de passer du temps, soit sur la guitare, soit sur les machines, et d'essayer de trouver des mélodies, et surtout de m'auto-surprendre. J'aime bien les premiers jets par exemple.
– Ton dernier album n'est pas immédiatement accessible. Faut rentrer dedans, quand même...
– Effectivement, je ne pense pas qu'il soit super accessible, c'est de la pop un peu rugueuse qui essaye d'éviter les évidences, qui tourne autour des codes de la pop, sans pour autant être quelque chose d'immédiat. Je ne veux pas que ce soit cérébral, mais je veux que ce soit exigeant. Tu as raison, ce n'est pas forcément facile de rentrer dedans à la première écoute.
– Il faut plusieurs écoutes, il faut un petit peu de temps pour en apprécier tout l'intérêt.
– Oui je pense. Les albums que je préfère, qui ont marqué ma vie, sont des albums que je n'ai pas aimés à la première écoute.
– J'avais un débat avec un copain musicien qui disait que, en gros, on pouvait finir par aimer n'importe quoi à force de l'écouter beaucoup. Ça se discute...
– C'est une bonne réflexion. Je ne pense pas que ce soit toujours vrai. Sinon le matraquage radio aurait marché...
– Il marche pas mal quand même.
– En fait si je choisis d'écouter beaucoup quelque chose, c'est parce que j'y décèle quelque chose qui va m'intéresser. Si on m'impose quelque chose, je risque d'avoir la réaction inverse et de fermer mes écoutilles.
– En tombant sur une vidéo acoustique de "Wooden gun" j'ai réalisé que, au-delà du songwriter, tu es aussi un vrai chanteur.
– (rires)
– Selon toi, quelle est la part de l'un et de l'autre ?
– C'est une super question aussi ça. Je suis flatté déjà que tu me considères comme un chanteur. Je ne dis jamais ça. Je ne sais pas si tu te rappelles la vieille pub du Keno, début 2000 ? Une nana était avec ses parents et avec son copain habillé en métalleux avec les cheveux longs et noirs. Et les parents demandaient au mec : « Alors vous faites quoi dans la vie ? – Euh... j'suis chanteur. »
Je n'ai jamais réussi à m'auto-qualifier de chanteur, parce que je trouve ça hyper gênant.
– Pourquoi, gênant ?
– Parce que c'est un talent qui a été tellement maltraité qu'il est devenu un peu kitschou. Pour moi ceux qui se disent chanteurs sont les gens de téléréalité. Chanteur, c'est un peu le concours de zizi. Il faut avoir une grosse voix, il faut envoyer du pâté, il faut faire les petits vibratos... Je ne me reconnais pas dans cette qualification. Par contre j'aime bien chanter. Et je peux admettre que, depuis le temps que je fais ça, j'ai un peu de technique, modestement. S'écouter aussi permet de corriger les erreurs. Les concerts font progresser.
– Tu as déjà pris des cours de chant ?
– Ado, quand j'ai commencé mes premiers groupes. Je chantais vraiment très très mal, alors j'avais pris quelques cours. Après, je suis vraiment autodidacte.
– I am Stramgram, c'est toi en solo ; en concert c'est un duo.
– Oui, en concert c'est un duo sur scène. Un trio avec notre technicien son.
– Et c'est même assez rock.
– Oui ça peut l'être. Pareil, ça dépend de l'humeur.
– Le projet pourrait évoluer vers un groupe ?
– C'est compliqué à répondre. J'aime bien la solitude. J'ai besoin d'être seul, d'expérimenter, d'essayer des choses. Il y a un dicton qui dit : « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » Et comme je suis très impatient, j'ai besoin que ça aille assez vite.
Mais après j'ai besoin du travail en groupe que je retrouve avec le spectacle vivant, avec le théâtre... Mais, à notre niveau d'artistes modestes, tourner à trois-quatre au plateau plus un technicien, c'est cher.
– Tu pourrais intégrer d'autres musiciens dans le groupe I am Stramgram, y compris en studio ?
– En studio le batteur avec qui je travaille, Paul Magne, qui est le type le plus gentil du monde et le plus doué de la galaxie, est quelqu'un de propositionnel. Et même l'ingénieur-son, Benjamin, l'est aussi.
– Mais ce ne sont pas des compositions à deux...
– Rarement. Sur le nouveau, Paulo a quand même été crédité en arrangements sur quelques morceaux.
– Sur "Stories to tell", j'imagine ?
– Non. Sur "It's all turning grey"...
– Celle-là est tubesque !
– Et elle n'était pas prévue. Et puis, concours de circonstances, on s'est dit « Hééé ! finalement ça marche pas mal ».
– Que penses-tu de la devise "sexe drogues et rock n'roll" ?
– Que ça ne me ressemble pas du tout. Je serais plutôt : chat, cheminée et chocolat chaud. Mais ça dépend des jours : il y a des fois où j'aime beaucoup boire et faire de la merde, et la plupart du temps où j'aime bien rester peinard à la maison, caresser mon chat et faire des chansons d'amour.
– Parlons actualité. Quel est ton antidote personnel contre le Covid-19 et les angoisses qui vont avec ?
– Je le vis pas trop mal, parce que dans ma chambre j'ai tout mon bazar pour travailler. Le fait d'être enfermé là ne me pose pas trop de problèmes parce que je peux quand même travailler, je fais des chansons... Je vis avec ma compagne Roxane dans une petite maison en périphérie de Bordeaux où l'on fait des petits travaux, du jardinage, on est souvent dehors. Seul le côté sociabilisation me manque un peu, voir les copains. Mon inquiétude est plus tournée vers les mois à venir. Pour l'instant, on mange bien, on essaye de faire un peu de sport. Ce sont des bons antidotes déjà.
– Je te propose de regarder la liste des albums chroniqués sur japprecie. Quels sont ceux que tu connais ? Quels sont ceux que tu apprécies ?
– J'en connais un paquet. Alors Puts Marie, ils se rappelaient de mon nom, je pense, simplement parce qu'on avaient joué ensemble.
Stereophonics est un des groupes que j'ai le plus écoutés quand j'étais ado. J'adorais le tout 1er album, Word gets around. Ça devait être en 96, la même année que le 1er album de Placebo, et 1 an avant OK computer de Radiohead, qui font partie des albums qui ont marqué ma vie. J'ai beaucoup de souvenirs d'ado sur le 1er album de Stereophonics, donc même si je trouve que c'est devenu un peu kitschou comme musique j'ai une tendresse particulière pour ce groupe.
(Continuant à parcourir la liste) Tiens, Rover aussi...
Ah, Tom McRae, évidemment. Son 1er album est un des albums importants de ma vie en matière de folk. Ma 1re année de fac. Et je trouve ce monsieur extrêmement drôle. Je me reconnais dans cette espèce de rupture : il fait des chansons ultra mélancoliques superbes car c'est un vrai songwriter, et en même temps il fait des blagues nulles à chier. Il y a 2 jours il a mis une vidéo avec son ukulélé, très belle chanson, beau texte, il chante trop bien j'adore, et il a incrusté des commentaires ultra rigolo.
Franz Ferdinand, forcément...
William Z Villain, en concert il est fort, c'est un OVNI. On avait joué après lui, il aurait fallu qu'on joue avant, parce que là... Vraiment impressionnant sur scène ! J'aime moins en disque, je trouve que la production ne lui fait pas forcément honneur.
– As-tu d'autres artistes à suggérer aux japprecinautes ?
– Je vais forcément te renvoyer vers des copains : le Collectif du Fennec.
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– Comment gères-tu le temps, la durée, dans tes chansons ? Comment gères-tu le rythme, le fait qu'une chanson va être longue ou courte, le fait que tu vas insister sur un pont, un couplet ou une intro, etc. ?
– On revient un peu au côté recette... Comme je suis impatient je n'aime pas trop les chansons longues. En studio je préfère quand c'est court. Et c'est l'époque aussi. Des gros producteurs disaient même que maintenant ils commençaient leurs chansons par les refrains et qu'ils essayaient de faire en sorte que les chansons fassent moins de 3 minutes, parce qu'aujourd'hui l'offre est multipliée par 100 000, on croule sous les propositions et l'immédiateté, le fait de jouir directement, d'arriver au climax d'une chanson hyper rapidement, est devenu un code.
– J'ai entendu ça, il faut que l'intro dure moins de, je ne sais plus, 20 secondes... même pas, 6 secondes... Mais c'est abominable !
– C'est abominable. La convention du tube voudrait que le refrain arrive dans les 30 premières secondes. Je ne dis pas que c'est forcément une bonne chose, je dis juste que j'aime quand ça va à l'essentiel et que ce n'est pas dilué. En fait le juste milieu est très difficile à trouver. Ça dépend de la richesse de ton texte. Si tu as un couplet qui est moins cool, bah tu l'enlèves et tu retombes sur ton refrain. En concert, le format long ne me gêne pas.
– Ça veut dire que tu répètes ou tu rajoutes des choses ? Quand je t'avais vu c'était plutôt dans la répétition.
– Oui, parce que j'aime bien ça, parfois. Mais c'est difficile de faire durer un morceau très longtemps. C'est-à-dire que tu empiles tes harmonies, tu mets plus de corps dedans, tu es à fond, et le morceau doit s'arrêter parce que si tu plafonnes pendant 4 minutes, 5 minutes, il ne se passe plus rien et c'est juste un gros boudin pendant 10 minutes. Sinon j'aime bien ce côté un peu transe, l'obsession d'un truc qui tourne. -
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La phrase
« Chanteur, c'est un peu le concours de zizi. »
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luiiamstramgram.com (268 Clics)
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…Et maintenant, écoutez !
- iamstramgram.bandcamp.com (209 Clics)
- soundcloud.com/iamstramgram (190 Clics)
- www.deezer.com/fr/artist/2563411 (301 Clics)
- open.spotify.com/artist/4Bh52h7UnPbC7aO4CBVkrr (173 Clics)
- www.youtube.com/iamstramgramIAS (198 Clics)
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Créé le8 octobre 2020
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Propos recueillis le 25 avril 2020.
Merci à I am Stramgram.